L’opéra comme instrument politique en temps de guerre


L’opéra, souvent perçu comme un sanctuaire de culture et d’art, se transforme en outil politique de propagande en temps de guerre. Dans le contexte actuel entre la Russie et l’Ukraine, les documentaires «Le théâtre Bolchoï, l’art et la guerre » et «Un opéra en guerre, une saison avec les artistes de l’Opéra national de Kiev » montrent comment le Kremlin utilise l’opéra pour asseoir son pouvoir et comment à Kiev, l’opéra devient un symbole de résistance.

Le Bolchoï sous l’influence du Kremlin

Le théâtre Bolchoï à Moscou, emblème de la culture russe, a toujours été fortement influencé par le Kremlin en temps de guerre. L’intervention directe du pouvoir se manifeste notamment par l’imposition de certaines œuvres, comme le retour de « Mazeppa » de Tchaïkovski. Ce choix n’est pas anodin : Mazeppa raconte l’histoire d’un héros cosaque ukrainien. Son interprétation peut être vue comme un moyen de manipuler l’opinion publique et de renforcer le nationalisme russe.

Makhar Vaziev dans son bureau du Bolchoï, Moscou
Makhar Vaziev dans son bureau au théâtre Bolchoï

Le documentaire «Le théâtre Bolchoï, l’art et la guerre » montre également comment le directeur du ballet, Makhar Vaziev, dirige d’une main de fer en faisant régner la terreur, observant de son bureau les danseurs tel Big Brother via des caméras de surveillance placées dans les studios. L’étoile du ballet Olga Smirnova a quitté le Bolchoï pour se réfugier au Dutch National Ballet lorsque la guerre a éclaté. Elle témoigne : « Les artistes se considèrent comme des rouages du système du théâtre Bolchoï (…) ces dernières années, ce parcours confine à l’esclavage, c’est comme travailler à la chaîne, ça exclut toute possibilité de s’exprimer. C’est en dehors de ces murs que s’écoule la vraie vie, car ici à l’intérieur, il n’est question que de survie. »

L’Opéra de Kiev comme arme de résistance

En Ukraine, l’opéra prend une dimension opposée. Depuis l’invasion russe, l’Opéra national de Kiev a rouvert ses portes pour devenir un symbole de la résistance ukrainienne. Toutes les œuvres russes ont été exclues du répertoire, et les représentations servent à maintenir le moral de la population. L’opéra devient ainsi un espace où la culture nationale est célébrée et défendue.

Natalia Matsak danseuse étoile à l'opéra de Kiev
Natalia Matsak à l’Opéra national de Kiev

Les artistes se battent pour maintenir les représentations malgré les conditions difficiles provoquées par la guerre, notamment les coupures d’électricité et les alertes pour se mettre à l’abri pendant les spectacles. La danseuse étoile Natalia Matsak témoigne : « En tant qu’artiste, on a une responsabilité vis-à-vis du public, les gens viennent ici comme s’ils allaient chez le psychologue. Durant ces deux heures, on veut non seulement qu’ils pensent à autre chose, qu’ils ressentent des émotions positives, mais aussi qu’ils oublient le stress du quotidien et puisent des forces pour continuer à vivre. »

Cet engagement se reflète également dans les paroles du président Zelensky : « Une question s’impose tout naturellement : dans quel camp la culture et l’art devraient-ils se ranger ? Sont-ils encore dissociés de la politique ? C’est une question intemporelle mais aujourd’hui, elle est plus pertinente que jamais. »

Le chef d’orchestre Mykola Diadiura explique qu’il a fait le choix douloureux de retirer les œuvres russes du répertoire et s’interroge : « Pourquoi la culture n’a-t-elle pas sauvé la Russie de ce qui lui arrive aujourd’hui ? Où est l’influence de Tchaïkovski, de Lermontov, de Pouchkine ? Où est Tolstoï ? Je ne comprends pas. »

L’opéra, loin d’être un simple divertissement, peut devenir un instrument de pouvoir et de résistance. À Moscou, il est utilisé par le Kremlin pour promouvoir une certaine vision de l’histoire et de l’identité nationale, tandis qu’à Kiev, il incarne la lutte et la résilience face à l’agression. Ces exemples montrent comment l’art peut être mobilisé dans des contextes de conflit pour des objectifs politiques et sociaux puissants.

À voir sur Arte actuellement : Le théâtre Bolchoï, l’art et la guerre réalisé par Philipp Mangold et Radik Golovkov et Un opéra en guerre – une saison avec les artistes de l’Opéra national de Kiev réalisé par Eric De Lavarene.


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